Intervention de Pierre A. Damas au Conseil Communal de février
J’ai peur
Je n’ai pas peur de ces encagoulés à la kalashnikov qui tuent sans discernement des humoristes un peu lourds ;
je n’ai pas peur d’une religion suivie par des milliards d’hommes pacifiques et qui est basée sur les mêmes fondements que la mienne ;
je n’ai pas peur des quelques extrémistes qu’il y a dans toutes les sociétés, dans toutes les religions, dans toutes les villes.
J’ai peur de notre réaction.
J’ai peur de ceux qui profitent de l’émotion pour mettre l’armée dans la rue.
J’ai peur qu’on sanctionne et stigmatise des enfants qui ne font que répéter ce qu’ils entendent à la maison, ce qu’ils entendent à la télé ;
j’ai peur de ceux qui dénoncent des adolescents et les mettent en prison parce qu’ils font ce que les adolescents font : s’opposer, parfois sans discernement ;
j’ai peur de ceux qui veulent retirer la nationalité à mes frères, mes amis, mes collègues.
J’ai peur des gens qui mettent des étiquettes sur les autres : nazis, communistes, extrémistes, angélistes, plutôt que d’écouter ce qu’ils ont à dire.
J’ai peur qu’on ne puisse plus analyser, comprendre, sans faire l’apologie du terrorisme, alors que l’heure est à l’analyse et pas aux sanctions, et qu’il faut chercher à comprendre quel parcours, quel avenir, quelles perspectives on offre aux jeunes pour qu’ils préfèrent mourir en détruisant tout autour d’eux plutôt que vivre dans notre société.
J’ai peur des statuts virulents sur Facebook qui ne sont commentés que par quelques rares imbéciles tandis qu’une grande majorité silencieuse laisse dire et les laisse se conforter dans le fait qu’ils ont raison ;
j’ai peur que pour ces mêmes raisons on en vienne à policer Facebook ou Internet et à interdire aux gens qui ne sont pas d’accord avec la ligne de pensée courante de s’exprimer, même maladroitement; j’ai peur que l’opinion devienne un délit.
J’ai peur du traitement de l’information par les médias actuels, qui préfèrent susciter l’émotion plutôt que la réflexion, sortent une phrase de son contexte, en exagèrent les éléments et la jettent en pâture à un lectorat habitué à réagir sur base des titres sans nécessairement en lire l’article ni en analyser les faits.
J’ai peur des hommes politiques qui veulent non seulement qu’on vote pour eux, mais surtout qu’on ne vote plus pour les autres, en les diabolisant, en les caricaturant, en les méprisant, plutôt qu’en proposant un vrai projet de société et en travaillant sur le fond des problèmes ;
j’ai peur de tout ceux qui nous opposent l’un à l’autre, bleus et rouges, rouges et mauves, alors que nous avons tous les mêmes aspirations et vibrons tous aux mêmes passions.
J’ai peur qu’après la marche qui a réuni des milliers de personnes sur des thèmes très différents comme la liberté de parole, la lutte contre le terrorisme, la solidarité, l’émotion devant la mort idiote mais parfois aussi comme l’opposition à certaines religions ou à certains groupes de personnes, quelques chefs de gouvernement ne se sentent subitement investis par le peuple pour pouvoir enfin prendre les mesures qu’ils avaient depuis longtemps dans leur cartons et que l’intelligence démocratique les avaient empêchés de prendre jusque-là.
Bref, j’ai peur que suite à l’émotion, on accepte au nom de la sécurité ce qu’on a toujours refusé au nom de la démocratie.
La peur est une émotion ressentie à la perspective d’une menace. C’est notre démocratie, c’est notre liberté qui est menacée, non par des terroristes, mais par notre propre réponse et notre acceptation de mesures dont les conséquences ne sont pas bien connues.
Il est des peurs qui tétanisent ou qui font fuir, et d’autres qui appellent à l’action. Je propose l’action.
A Braine-le-Comte, des gens ont peur des autres, parce qu’ils ne se connaissent pas, qu’ils se rencontrent peu, s’arrêtent parfois à des signes extérieurs, un voile, une couleur de peau, des habits – même si, dit-on, ils ne font pas le moine.
Nous disons trop facilement que ce n’est pas à nous de réagir, c’est à l’Europe, au gouvernement fédéral, à la région, à la police, au monde politique. Tous ceux que nous critiquons si aisément devraient avoir une réponse pour nous.
Mais c’est bien à nous de faire en sorte que dans notre ville, nous puissions parler librement de ces sujets, écouter les autres, comprendre les communautés, les religions, les autres gens qui font partie de notre ville.
Nous avons un plan de cohésion sociale, nous avons des outils d’éducation, nous avons des écoles, une maison des jeunes, des clubs de sport, nous avons des lieux de rencontre dans chaque village.
Qu’allons-nous faire pour garantir que Braine-le-Comte soit une zone de liberté, de compréhension, de vivre ensemble, où chacun se sentira en sécurité parmi ses amis, ses frères ?